29 Mai 2020
Habitué à être positionné en juge de paix des plus grandes étapes de montagne du Giro, le Colle del Finestre est proposé lors de cette édition en milieu de journée. Après avoir franchi le Colle del Lys, les coureurs l’emprunteront par le versant caillouteux bien entendu, avant de se diriger vers Sestriere et de plonger dans la vallée sur près de
Alors que Luis Leon Sanchez est, dans la première partie du Finestre, le dernier rescapé d’une échappée qui n’aura pas fait long feu, le rythme du peloton s’accélère considérablement. A dix kilomètres du sommet, sous l’impulsion des Sky, le maillot rose Simon Yates est en difficulté. Ecrasé sur sa machine, à peine capable de suivre son lieutenant Mikel Nieve, il voit s’enfuir mètre par mètre son rêve de gagner le Tour d’Italie. Lâcher prise sur le bitume du Finestre ne pardonne pas. Alors que les relais des équipiers de Chris Froome s’enchaînent en tête, le maillot rose a perdu une minute en un kilomètre. Sergio Henao, Wout Poels font leur écrémage. Il est bien probable que la défaillance en cours de Simon Yates aie précipité les ambitions de son compatriote quatrième du général. A l’entrée de la portion non-goudronnée, Froome ne dispose cependant plus que de Kenny Elissonde pour l’emmener. Il envoie son équipier grimpeur de poche rouler sur un tempo effréné. Lorsque le français, vainqueur sur la Vuelta 2013 au sommet de l’Angliru, accélère (encore plus), il n’y a presque plus personne qui tient la roue de son leader.
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Mais c’est entre le sommet du Finestre et celui de Sestriere que va s’opérer le tournant de l’étape et du 101e Giro. Pendant que Froome file, les chasseurs sont face à un dilemme. Si chacun ne veut pas donner sa part en relais, la poursuite est vouée à l’échec. En effet, Lopez et Carapaz débutent déjà leur querelles enfantines pour la quête du maillot blanc et s’observent en queue de groupe. Dumoulin et Pinot sont conscients qu’ils ne pourront pas tenir ces efforts jusqu’au Jafferau. Ils décident donc d’attendre l’équipier du Franc-Comtois Sébastien Reichenbach. Son aide est certes bénéfique sur l’instant, mais le groupe a perdu énormément de temps. Dans la station de Sestriere, Froome a fait grimper son avance à 2’40’’. Il est donc revenu à moins de vingt secondes du maillot rose provisoire, accroché aux épaules de Dumoulin. Reichenbach est à nouveau décramponné dans les dernières pentes vers Sestriere. Il est attendu en bas de la vallée. A 20 bornes du terme, l’écart a franchi le cap des trois minutes, Froome est virtuel leader.
Dans le Jafferau, il n’y a plus d’amitié de circonstance. Chacun tente de sauver sa peau pour le général. Pinot attaque au pied, mais est repris deux kilomètres plus loin. Lopez a le cran de contrer le grimpeur de Groupama-FDJ. Il est bien entendu suivi à la trace par Carapaz. Le groupe se reconstitue peu après et Dumoulin en reprend la direction. Froome remporte la tappone, l’étape reine de ce Giro. Le quatuor des poursuivants lance le sprint pour aller chercher les petites secondes qui pourraient être décisives. Carapaz termine à 3’00’’, Pinot à 3’07’’ et Lopez à 3’12’’. Dumoulin, en peine dans les tout derniers mètres après avoir travaillé sans cesse, concède quant à lui 3’23’’. Si l’on s’en réfère à l’écart GPS entre les deux groupes quand le nouveau maillot rose à entamé la dernière difficulté, l’Equatorien a repris une vingtaine de secondes à Froome, tandis que le néerlandais en a concédé deux. Il fallut ensuite attendre six minutes pour voir Reichenbach franchir la ligne. Formolo, Bilbao, Konrad ou Pozzovivo terminaient aux alentours des 8’30’’ de débours. Rohan Dennis, septième au matin de l’étape, perdait un quart d’heure. Ce fut près de quarante minutes pour Simon Yates, devenu hors-jeu pour une quelconque place au général.
Bien que Froome soit devenu maillot rose avec quarante petites secondes d’avance sur Tom Dumoulin, on ne croit cette fois plus à une performance sans lendemain du coureur Sky. La dernière étape de montagne vers Cervinia, très longue (214km), est remplie d’enjeux mais il semble désormais impossible de détrôner Froome. Même si un nouveau retournement de situation, avec la descente aux enfers de Thibaut Pinot du à un début de pneumonie, survient. Dans le final, Dumoulin tentera quelques vaines attaques, mais sans suite. La dernière sera même contrée par une banderille de Froome, qui distancera son dauphin néerlandais. Mikel Nieve lavera l’affront chez Mitchelton-Scott en remportant l’étape. Froome demandera lui à son équipier Wout Poels de faire le sprint en sa compagnie face à un Dumoulin totalement épuisé et résigné. Histoire de montrer une dernière fois qui était le patron.
Mais l’Histoire, elle, retiendra-t-elle l’image de ce « patron » au cuissard déchiré à Jérusalem ? Celle du « patron » pédalant dans le vide vers Caltagirone ? Celle du « patron » empêtré dans son imper au moment de l’attaque de Yates sur l’étape 15 ? Si les soupçons pleuvent sur cette renaissance de Chris Froome, cette série d’articles n’eut en aucun cas la volonté de les alimenter. Elle fut là pour souligner qu’avant les performances physiques quasi-jamais vues dont à fait preuve le britannique, il fut gravement touché dans son être par tout un tas d’éléments perturbateurs (suspicions, chutes, mauvaise forme). Sur le Tour 2014, une telle succession l’avait contraint à abandonner. L’histoire ne s’est pas répétée quatre ans plus tard.
Mathéo RONDEAU