Emilien Jacquelin, ça lui va comme un grand

Mondiaux de biathlon 2020
Emilien Jacquelin a décroché sa première victoire en carrière un jour de poursuite aux Mondiaux d'Antholz, se payant le luxe de battre au sprint Johannes Boe. Crédit : [AFP].

L’image avait déjà interpellé. C’était il y a un petit peu plus de deux ans, dans cette même station transalpine d’Antholz-Anterselva. Intégré dans l’équipe de France de Coupe du monde à l’entame de la saison 2017-2018, le jeune Emilien Jacquelin, 22 ans, se révèle aux yeux de tous sur la dernière étape du circuit avant les Jeux Olympiques de Pyeongchang. Cinquième du sprint, il enchaîne dès le lendemain avec une sixième place sur la poursuite, derrière les trois cadors du moment : Johannes Boe, intouchable, Martin Fourcade et Anton Shipulin. Mais c’est surtout un certain moment de cette poursuite qui va retenir l’attention des plus fins spécialistes. Dans le jeu pour aller décrocher un nouveau Top 5, Jacquelin s’avance sur le pas de tir pour le premier debout de l’épreuve, entouré par Arnd Peiffer et Simon Eder. Un gamin encore inconnu face à deux hommes au palmarès bien garni et réputés très adroits derrière la carabine. Et, voyez-vous, c’est le natif de Grenoble qui a décoché ses cinq balles à une vitesse folle, finissant son exercice cinq secondes plus tôt que « Lucky Luke » Eder. La fougue, l’imprévu, l’emballement sans cesse, il l’avait déjà en lui. Il l’a toujours eu en lui.

Ses performances Italiennes lui avaient valu un ticket pour Pyeongchang. Il prend part à l’individuelle (77e) et au relais masculin (5e). La saison dernière, ses résultats en dents de scie (24e du général) n’avaient pas entamé ses envies de folie. Heureusement, il aura juste suffit d’attendre encore quelques mois. Quatrième d’entrée de jeu sur l’individuelle d’Ostersund, il montre qu’il faudra compter avec lui cette saison. Dix semaines plus tard, voilà le licencié de Villard-de-Lans de retour dans les montagnes du Trentin-Haut-Adige avec trois podiums au compteur. Une remontée de génie sur la poursuite d’Hochfilzen (3e), une mass-start hyper solide au Grand-Bornand derrière un Johannes Boe surhumain (2e) et un très beau sprint derrière le roi Fourcade à Oberhof (2e), l’Isérois voit son nom monter de plus en plus haut sur la liste des outsiders pour les Mondiaux.

 

Samedi, alors qu’Alexander Loginov déjoue les pronostics en réalisant le meilleur temps devant Quentin Fillon Maillet et Martin Fourcade, Jacquelin est un des derniers à pouvoir détrôner le Russe. Impeccable sur le couché, il doit aller sur l’anneau de pénalité après une faute sur le debout et se contenter de la sixième place à vingt-cinq secondes de Loginov après avoir un temps rêvé et espéré le podium. Au lendemain d’une course où il reste clairement sur sa fin, il prépare tranquillement et sereinement le 12,5km, passant une partie de la matinée à arpenter le pas de tir pour soigner son debout. Jacquelin sait qu’il pourrait devenir son arme fatale en cas de lutte dans la deuxième moitié de course.

Des trois Français classés dans le Top 10 au départ cet après-midi, il est clairement celui sur qui repose le moins de pression, compte tenu de l’écart qui le sépare de la tête (une erreur de Loginov grossièrement). Cela démarre sous les meilleurs auspices pour lui. Un tir couché plein, sans faute, dans la lignée du mitrailleur russe et de son compatriote Martin Fourcade. Emilien Jacquelin profite cependant des erreurs des frères Boe et surtout du malheureux Quentin Fillon Maillet, naufragé après le premier tir (4 erreurs), pour remonter au tableau d’affichage.

Mondiaux Biathlon 2020
Emilien Jacquelin exulte. Il décroche l'or sur cette poursuite des Mondiaux d'Antholz. Crédit : [AFP].

Et puis la course bascule dans une autre dimension. Derrière un Loginov toujours en mode Mr Propre, Fourcade craque à son tour, et se voit doublé par Jacquelin et Johannes Boe. L’avant-dernier tour est un prélude au suivant. Le français navigue à une quinzaine de secondes du Russe, mais subit un retour pressant du Norvégien, qui parvient à recoller dans ses skis avant le retour dans l’arène pour un dernier tir debout à la vie à la mort. Après avoir enchaîné vingt-huit blanchissages de cibles, Loginov craque enfin et ouvre la porte au duo qui le précède. Il ne se gêne pas, c’est un régal. Emilien Jacquelin réussit le second 20/20 de sa carrière, Johannes Boe lui tient la dragée haute et sort en sa compagnie. Il reste 2,5 kilomètres.

 

Peut-être est-ce dû à l'ivresse des sommets, le final se transforme en finish de classique cycliste, tel un duel Gilbert/Politt sur le vélodrome de Roubaix ou un combat de vieux briscards entre Gregory Baugé et François Pervis sur piste. Cette comparaison, Emilien Jacquelin l'accepterait volontiers, lui le passionné de cyclisme, ancien pratiquant. Fan du "Pirate" Marco Pantani, il se prend à rêver d'une victoire à la Nans Peters, coureur Ag2r la Mondiale vainqueur à Antholz sur le dernier Giro d'Italia. Avant de se voir paré d'or, il faut se débarrasser d'un sacré gaillard. Johannes Boe est sur le papier le plus fort, mais il décide de ne pas imprimer de gros rythme d'abord. Signe que le Scandinave n'est pas serein, il décide même de laisser son adversaire prendre les devants au sommet de la principale difficulté du parcours. Séquence incroyable de deux hommes presque face à face, arrêtés au pied de la descente. Jacquelin passe en tête. 

 

​​​​Pour ne plus jamais la perdre. Avant la dernière petite bosse, il s'attend à une attaque de Johannes Boe, mais rien. Alors c'est lui qui va lancer le pétard, en arrivant sur le stade. La tribune parvient à apercevoir les deux hommes, Boe a manqué de chuter après un déséquilibre vers l'arrière, mais le Français tient toujours bon. Encore deux virages à droite, peut-être 300 mètres, ne pas craquer. Deux jours plus tôt, Susan Dunklee s'est totalement écrasée sur ce dernier plat, mais c'est le jour d'Émilien. On ne se casse pas les dents après un sans faute, après avoir attaqué l'empereur Boe. Le tricolore ferme la porte à l'intérieur du dernier tournant, encore quelques secondes et c'est l'extase. Pas de jeté de bâton cette fois, juste les bras qui se lèvent. À ce moment là, Emilien Jacquelin est parti, envolé vers les nuages, dans un état second. Celui d'un champion du monde normal finalement (tout le monde n'est pas Alexander Loginov). 

À voir la joie de Martin Fourcade à son arrivée (4e), c'est un peu un frère qui décroche la lune et l'or. C'est le Catalan qui l'a pris sous son aile depuis plusieurs années. C'est lui qui a été un des premiers à croire en lui. Après la course, Johannes Boe avouera en grand gentleman la supériorité du Français.  Une supériorité sans conteste dans ce final légendaire, géré d'une main de maître par un homme de 24 ans. Un homme ce soir paré d'or. Et il faut le dire, l'or lui va comme un grand. 

Mathéo RONDEAU

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