L'association systématique cyclisme/dopage : un fantasme dangereux

Depuis le début de sa domination, l'équipe Sky suscite suspicion. Souvent démesurée.

Depuis le début de sa domination, l'équipe Sky suscite suspicion. Souvent démesurée.

"De toute façon ce sont tous des dopés, ce sport n'est pas crédible". Qui n'a jamais entendu prononcer cette phrase ? Dès que le Tour de France approche, le grand public redécouvre le monde de la petite reine et son lot de suspicions. Cette édition 2018, marquée par la forte domination de l'équipe Sky, n'a pas échappé à la règle. Nombre d'articles pleuvent alors sur le sujet et commentaires sont légions sur les réseaux sociaux. Une schizophrénie que l'on retrouve également chez les fans les plus mordus de cyclisme. Pourtant, jeter opprobre sur ce sport paraît en grande partie injustifiée. C'est ce qui va essayer d'être démontré ici à travers chiffres et comparatifs avec d'autres sports. Il ne s'agit pas de fermer les yeux sur le dopage, mais de remettre les choses à leur juste place.

Pourquoi le cyclisme a-t-il une image si dégradée ? 

Tout d'abord, il faut savoir que le cyclisme a été le premier sport éclaboussé par les scandales de dopage. Dès 1924, dans le livre les forçats de la route, Albert Londres fustige la prise de certains produits. Par la suite la mort de Tom Simpson en 1967, sur les routes du Tour a déclenché véritablement la lutte antidopage dans ce sport. Quand on cherche on trouve, et au fil des années, s'est ancré dans l'imaginaire du public, l'association cyclisme dopage. Pour Barnabé Moulin, le mal est encore plus profond : "Cela vient principalement de médias avides de sensations et en mal de vente. Ces gens sont dans le fantasme. Ils ne viennent jamais sur le terrain. Pire, ils trouvent finalement un intérêt mercantile dans l’entretien de cette image". Il est vrai qu'à chaque approche de Tour de France, événement phare du cyclisme, des articles ayant pour sujet le dopage pleuvent, bien plus que sur le reste de l'année.

Pour les fans, difficile alors de s'y retrouver, comme Cyril Masson, mordu depuis la plus tendre enfance. Ce fan absolu de Vincenzo Nibali essaie de trouver une explication à cette association. "Le vélo est culturel en France, dès qu'il y a le Tour on ne parle que de ça. Donc dès qu'une affaire éclate cela fait les gros titres. Qui sait, à part les spécialistes, qu'Asbel Kiprop a été contrôlé positif? Pourtant c'est un double champion olympique". Désormais il évite même de discuter cyclisme avec des non spécialistes : "Cela m'énerve sinon" confie-il. Pour rebondir sur ces propos, il existe effectivement d'autres scandales de dopage dans d'autres sports, l'affaire Puerto ayant touché d'autres sportifs que les cyclistes (dont le tennisman Rafaël Nadal). Mais sans faire autant de bruit que Festina ou encore Lance Armstrong. Mais quand on ne cherche pas, on ne trouve pas.

L'évolution des performances : petit comparatif avec d'autres sports.

Les 9 meilleurs temps dans l'Alpe d'Huez sur le Tour de France comparé à Geraint Thomas, vainqueur de l'étape en 2018.

Marco Pantani36'45199722.69km/h
Marco Pantani37'15199422.39km/h
Jan Ullrich37'30199722.24km/h
Lance Armstrong37'36200422.18km/h
Lance Armstrong38'01200121.94km/h
Miguel Indurain38'04199521.91km/h
Axel Zülle38'04199521.91km/h
Bjarne Riis38'06199521.89km/h
Richard Virenque38'11199721.84km/h
Geraint Thomas41'15201820.22km/h

Les neuf meilleurs temps d'ascension sont concentrés sur 10 ans. Depuis le contre-la-montre de 2004, plus personne n'a été en mesure d'approcher le niveau d'un aigle comme Marco Pantani ou encore des rouleurs-grimpeurs comme Jan Ullrich et Miguel Indurain. Geraint Thomas, vainqueur du Tour et de l'étape de l'Alpe cette année aurait terminé à 4'30 de Pantani cette année-là. Pire, il serait éjecté à plus d'une minute du top 10. Thibaut Pinot, sur le giro 2017, avait réalisé le meilleur temps de l'ascension de la Cervinia. Mais le grimpeur français y a réalisé une performance près de trois minutes en deçà d'un Marco Pantani. Bien sûr, c'est à relativiser car les conditions (vent, pluie) ne sont pas les mêmes selon les années. Mais le constat est clair, le cyclisme est un sport qui voit ses performances globales diminuer sur ces dernières années. Sans doute là un succès de la lutte anti-dopage. Barnabé Moulin ne comprend pas dès lors, pourquoi on associe toujours cyclisme et dopage : "Le problème du dopage c’est qu’il n’existe plus comme ce que ces gens en parlent. Et tant mieux. Que les fans soient schizophrènes vient du fait de ces experts".

D'autant que cette régression n'est pas observée dans d'autres sports. Attention il ne s'agit pas ici de jeter la suspicion ailleurs pour dédouaner le cyclisme. Mais le football, le sport le plus populaire en France lui est en constante progression sur le plan physique. D'aspect visuel déjà, un match de foot de 1990 n'a pas grand-chose à voir avec un match aujourd'hui. Sur le plan statistique, on retrouve cette évolution. En 40 ans, le nombre de kilomètres parcouru en un match par un joueur a augmenté, passant de 8km à près de 12km. Au-delà de ce simple chiffre, c'est intéressant de creuser davantage. C'est le nombre d’accélérations dans un match (l'essence même du football, pour faire la différence) qui ont véritablement explosé. Pour Cyril Masson cela va même plus loin "En tant que fan de la Juventus, on sait tous qu'à l'époque de Zidane, ils étaient chargés et cela a été prouvé". Sans verser dans cet extrémisme, il est intéressant de voir que certains sports progressent, contrairement au cyclisme. 

D'autant que le football n'est pas le seul dans ce cas, on peut évoquer le cas du rugby. Mais attention, le constat est a relativiser du fait que ce sport est devenu professionnel qu'en 1995. Mais le poids moyen des joueurs a augmenté de 10kg, avec des joueurs toujours plus rapides et des contacts plus durs. 

Le football, le sport le plus contrôlé ? Oui mais...

Si on aborde l'aspect des contrôles antidopage, on constate que le football est le sport le plus contrôlé avec près de 32000 contrôles en 2016, contre 22000 pour le cyclisme. Oui mais voilà, là où on compte près de 110 000 footballeurs professionnels, on trouve à peine 1200 cyclistes pros. Un cycliste est donc contrôlé en moyenne une fois par mois contre une fois tous les trois ans pour un footballeur. "Sur le terrain c’est dramatique car ces gars subissent des contrôles comme jamais, ils sont plus clean que jamais mais sont accusés de tous les maux. Mais sans doute est-ce la société qui veut ça" peste Barnabé Moulin. En effet, les cyclistes sont soumis à des contrôles incessants. Chaque fin d'étape ou de course, ceux inopinés parfois très tôt le matin. Des pressions que ne subissent pas forcément d'autres sportifs. 

Le jeu dangereux des organisateurs de courses. 

D'autant qu'à côté de cela, les organisateurs ne cessent de chercher de la nouveauté pour apporter une touche spectaculaire à leur épreuve. En atteste le tout récent Paris-Tours et ses neufs chemins de vigne. Le tour 2018 a aussi innové au Plateau des Glières, avec ce chemin de pierre. Certains s'en réjouissent et d'autres tirent la sonnette d'alarme. Barnabé Moulin s'est rangé dans la seconde catégorie, il est formel : "On veut du spectacle et on envoie ces mecs dans des parcours de plus en plus tordus mais on s’offusque quand un accident arrive... personnellement je suis inquiet par la tournure que cela prend. L’intégrité physique et psychique est mise en péril. Comment peut-on supporter la pression médiatique énorme et la suspicion qui va avec? De même les risques de blessures invalidantes".

Le tour 2019 ne semble pas prendre le chemin de la raison, puisqu'une arrivée inédite est prévue à la Planche des Belles Filles avec une arrivée sur une rampe à 26%. De la démesure, encore de la démesure, toujours de la démesure.

Etienne Goursaud

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